Éthique et philosophie face aux enjeux éducatifs du sport

Université Populaire du Sport, conférence inaugurale, 01/02/2025, INSEP, Paris, France

Exposé d’Isabelle Queval - Penser le sport pour comprendre le monde

Dans le prolongement des pistes fournies par Georges Vigarello, Isabelle Queval articule son exposé autour des questions d’éthique et de philosophie posées aux enjeux éducatifs du sport appliquées à deux thèmes : « le sport de haut niveau et l’enfant champion » et « le statut et les enjeux de l’éducation physique et sportive scolaire dans la perspective de l’Héritage des JOP 2024 ».

- Partie 1 -

Sport de haut niveau et enfant champion

Origines du sport

La notion de sport naît au XIXe siècle et s’incarne dans l’exploit et le dépassement de soi. Il fournit des héros et s’illustre dans la performance du champion.

Ses finalités inaugurales sont : militaires, médicales, pédagogiques, sportives.

Évolution des modes d’être et de pensée

Le Siècle des Lumières voit la démocratisation du perfectionnement individuel, de l’éducation et de l’éducation physique.

Le XIXe siècle est celui de l’essor des gymnastiques et du sport moderne ainsi que de la quantification des attitudes humaines, précurseur de la mesure de soi par les objets connectés. Les objets de mesure deviennent aussi importants que la norme de dépassement.

Fin du XIXe siècle - début du XXe siècle : attrait pour la performance et la construction scientifique de cette performance.

L’impulsion pédagogique est donnée, dans un contexte scientifique et social de spécialisation de l’étude du sport et des capacités.

Milieu du XXe siècle : développement du sport de haut niveau dans un contexte de professionnalisation, de médiatisation et d’universalisation croissante.

Ambivalence de l’excellence

L’excellence s’interprète comme « viser le bien » ou « viser le mieux ». Elle traduit la compréhension de l’exploit dans sa démesure opposée à la juste mesure, fondement d’une dualité nourrissant la réflexion éthique comme pédagogique. Cette ambivalence s’incarne dans l’excellence corporelle à travers l’expérience de l’effort physique, l’effort étant la résistance du corps à la volonté. Le dépassement de soi n’est pas l’apanage du sport de haut niveau.

Le XXe siècle voit la partition institutionnelle et théorique entre l’éducation physique comme projet de développement global d’un individu et de son équilibre, et le sport défini par la compétition et la performance (et ses éventuels excès potentiels).

Sport de haut niveau

Le champion devient une sorte de prototype humain, tous paramètres optimisés en vue de la performance. La science « surnature » les corps. Cet extrême pointe aussi ses excès et ses déséquilibres : fatigue des organismes et dopage (fêlure de l’identité sportive d’égalité des chances).

Cette irruption de la science interroge sur les formes plurielles de l’augmentation de l’individu (prothèses, implants, manipulation génétique)  et leurs conséquences à venir.

Hybridation constitutive humain/artifice technologique (imbrication nature/culture)

Le corps augmenté englobe autant le handicap que la performance sportive.

Questions posées autour d’un dopage légalisé et contrôlé :

  • Libre accès de tous les champions à des traitements aux coûts exorbitants ?

  • Garantie de l’absence de tricherie malgré le contrôle ?

  • Réceptivité inégale au produit consommé, évaluation de l’égalité et de la tricherie ?

  • Dopage des mineurs dans le Sport de Haut Niveau : nouvelle pédagogie prévoyant que le sport est au-delà de la santé, un corps augmenté par des substances chimiques ou des prothèses ?

Ambiguïté du Sport de Haut Niveau

Le Sport de Haut Niveau est arrimé à une ambiguïté : le sport sain, égalitaire et pédagogique vs. les excès croissants qui ébranlent ces notions.

Le dopage peut apparaître comme symptomatique d’une société axée autour du culte de la performance et les moyens d’y parvenir. Aujourd’hui, l’action la plus banale de la vie quotidienne (parler en public) ne peut plus se faire sans la consommation d’un produit optimisant. La conduite dopante est la dépendance psychologique à cette idée.

Doit-on s’étonner que le Sport de Haut Niveau pour qui le corps est outil de performance et de travail soit particulièrement réceptif à ce message : « Pour performer, il faut consommer les bons produits » ?

Sport et société

Excès et modèle social

Comment l’excès peut-il avoir valeur de modèle social ?

Risque de soumettre l’enfance à l’instrumentalisation et à des profits divers alors que l’éthique fondamentale dans l’éducation d’un enfant susceptible de gouverner l’action de l’éducateur englobe les notions de : bienfaisance, autonomie, consentement, non-manipulation, non-malfaisance, paternalisme.

La concurrence mondialisée du sport peut-elle répondre à ce type d’approche éthique ? Y a-t-il un sens à réguler la jeunesse d’un champion ? Certains sports à grande précocité (tennis, gymnastique, football, patinage artistique) cumulent les risques de potentielle instrumentalisation. Toute éducation comporte un désir d’emprise, désir positif souvent mais à la condition d’intégrer la négativité, l’émergence d’autrui, le droit d’être lui-même, différent de moi ou de l’idée que je me fais de lui.

Le danger réside dans les désirs de l’enfant débordé par les désirs de l’entourage.

De quel projet éducatif le champion peut-il être la réalisation ?

La formation de l’enfant au sport d’élite n’est pas éthiquement et juridiquement protégée. Aucun encadrement législatif sérieux de l’action des structures d’entraînement de l’enfant sportif n’existe actuellement.

L’altérité, et l’affrontement à la difficulté jouent un rôle dans l’avènement du champion. L’essence de la relation éducative réside dans l’équilibre entre la contrainte et l’autonomie. Le Sport de Haut Niveau y superpose un pragmatisme implacable: les intérêts financiers et le décompte de médailles (entre autres…)

Alors, la formation de l’enfant au haut niveau, aliénation ou accomplissement de soi ?

- Partie 2 -

Statut et enjeux de l’éducation physique et sportive scolaire dans la perspective de l’Héritage des JOP 2024

L’éducation physique et sportive est l’héritière hybride d’une double finalité :

-> finalité éducative et hygièniste inspirée des anciennes gymnastiques,

-> finalité sportive issue du Coubertinisme, promouvant la compétition.

De là naît une confusion sémantique entre activité physique et sport.

Enjeux de l’enseignement de l’Education Physique et Sportive en temps scolaire

#1 - Construction identitaire au travers du corps

On entre au monde par le corps et pourtant l’école promeut l’inverse.

L’injonction faite à l’adulte est de « bouger plus », travailler debout ou en pratiquant une activité (vélo d’appartement,par ex.).

L’école demande à tous d’être assis sans bouger dans un enseignement statique ne permettant pas le mouvement et recherchant le contrôle corporel par l’immobilité, alors que le corps n’est pas un empêcheur de penser mais un accélérateur de pensée, « penser en marchant ».

L’ Education Physique et Sportive (EPS) peut éclairer sur ce que peut le corps et le mouvement (littératie physique, NDLR) car l’effort est la résistance qu’oppose le corps à la volonté. L’effort permet la prise de conscience de soi-même ou la première conscience de soi-même est la conscience du corps.

L’on doit donc dès le plus jeune âge surveiller le lien entre apprentissage et corporéité.

#2 - Enjeu sanitaire et social

Post-covid, le rapport à soi et aux autres s’est complexifié comme l’atteste la détérioration de la santé générale et mentale des jeunes et des moins jeunes. Alors que les troubles de la sédentarité se multiplient : obésité, affaiblissement des capacités cardiaques, anxiété, hyper- activité, l’Education Physique et Sportive n’est pas en mesure de remplir ses missions.

Quelles voies d’amélioration ?

  • augmentation significative du volume d’enseignement de l’Education Physique et Sportive

  • Institutionnalisation de son enseignement dès la maternelle pour remédier aux inégalités territoriales et de moyens, et remédier au flou organisationnel des 30’ d’activité quotidienne en primaire

  • Initier une réforme de l’espace-temps scolaire favorisant le mouvement mais aussi le repos, voire la rêverie

#3 - Politique

Distinguer l’Education Physique et Sportive du sport, c’est distinguer l’enseignement dû à tout élève de la nation de ce qui dépend de l’environnement culturel et familial. Beaucoup d’enfants n’ont d’autre expérience sportive qu’au travers de l’Education Physique et Sportive ou des média.

L’Education Physique et Sportive répond à la promesse républicaine de l’égalité des chances, celle de pratiquer un sport sur l’ensemble du territoire et cela commence par l’école.

En matière d’Héritage, c’est là que la décision du politique est attendue.

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Évolution du jeu vers le sport ou comment le sport permet de comprendre le monde et penser demain